samedi 25 juillet 2015 – 10h47 Faille grecque et sous-sol politique
by Yannis Youlountas · 24/07/2015
En dépit des apparences et malgré ce qui est annoncé partout…
PAS SÛR QUE LE PEN SOIT LA GRANDE GAGNANTE, EN FRANCE, DE CE MYTHE GREC CONTEMPORAIN
Je vais peut-être vous étonner, mais j’ai l’impression que, suite aux événements désastreux en Grèce et contre toute attente, il pourrait se passer plus de choses positives en France qu’en Espagne.
Je veux dire par là que je remarque très peu de remises en question (pour l’instant) chez mes amis catalans ou andalous d’après mes retours (à l’exemple de Pablo Iglésias qui pour l’instant s’obstine avec l’euro), que ce que je relève depuis quelques jours dans l’hexagone : mes compagnons anars s’emparent du sujet et le dissèquent, d’autres mouvements radicaux également, et même une partie de la vraie gauche est en train de rouvrir plusieurs débats en sommeil ou tabous depuis des années. J’ai survolé divers rapports ici et là, et sincèrement, c’est mieux qu’ailleurs dans le sud, pour l’instant.
TIRER LA LEÇON
Je sais que certain-e-s s’en fichent, mais pas d’autres, et moi ça m’intéresse : le congrès du PG vient de rouvrir le débat sur la sortie de la zone euro. Et ce 22 juillet, Mélenchon vient de déclarer sur son compte FB : « Il faut sans détour tirer la leçon numéro un de la reddition de Tsipras. Le plus important tient à ceci : toute tentative de changer l’Europe de l’intérieur est vouée à l’impuissance si ceux qui l’entreprennent ne sont pas près à tirer instantanément et totalement la leçon d’un échec, en rompant le cadre. Autrement dit, aucun plan A n’a de chance sans plan B. Et quand vient l’heure du plan B, il ne faut pas avoir la main qui tremble. A l’heure actuelle, l’hypothèse la plus vraisemblable est que l’Allemagne et ses satellites ne permettront aucune évolution, aucune révision, ni du statut de la banque centrale européenne, ni des traités budgétaires. Il faut donc tranquillement mais méthodiquement préparer la réplique à ce refus. » Ça n’a peut-être l’air de rien comme ça, mais dans le même texte, vous avez : tirer la leçon + reddition de Tsipras actée + plan B/sortie de l’euro.
LE CHOC A ÉTÉ PROFOND
Plusieurs groupes alternatifs et révolutionnaires semblent également très actifs, surtout pour une période estivale. Beaucoup d’organisations, depuis des collectifs de luttes, ZAD, libertaires… jusqu’à Attac, ainsi que les rencontres nationales des SEL ou encore le congrès de l’ICEM (pédagogie Freinet) nous sollicitent avec Maud pour qu’on vienne discuter de tout ça, bien sûr avec le film « Je lutte donc je suis » qui sera prêt en septembre*. On est submergés de demandes. Pas seulement pour le film, mais aussi et surtout pour échanger des informations et des réflexions en complément de celui-ci.
Tout cela montre bien que ça bouge, que le choc a été profond, tant positif que négatif, et que ce séisme à tous les niveaux ne va sans doute pas s’arrêter là. Beaucoup de gens ont été touchés, même si assez peu se sont mobilisés. Oui mais…
PROFIL DE SOL POLITIQUE EN FRANCE
En voyageant beaucoup en France et ailleurs, dans ce qu’on appelle banalement le mouvement social, j’ai remarqué qu’en France en particulier, encore plus qu’ailleurs, coexistent plusieurs couches d’alternatives plus ou moins en sommeil, mais très riches et denses, comme peuvent l’être, par exemple, les couches d’un profil de sol. Voilà de mon point de vue le profil de sol politique en France : – La végétation en surface, zone la plus visible et animé, est essentiellement le fait des collectifs de lutte, des ZAD, des lieux autogérés, des AMAP, des SELs, etc. – Ensuite, juste en dessous, il y a l’humus, directement en connection avec ces initiatives de résistance ou de création, ce sont les collectifs à la fois théoriques et pratiques, comme peuvent l’être, par exemple, des groupes libertaires ou des associations comme Attac, car leurs membres sont très souvent multicartes et engagés dans de multiples actions simultanément, comme les fauchages d’OGM, les actions de solidarité, les actions d’éducation populaire, etc. – Encore plus bas, il y a la couche arable, épaisse, minérale, souple et riche, ce sont nos cultures politiques, nos références idéologiques, la mémoire de nos savoir-faire, de nos luttes, de nos utopies. – Puis, il y a le sous-sol, avec ses blocs de rochers et ses cavités : on est à la fois dans le dur et même temps dans des connections souterraines, ontologiques, fondamentales ou historiques. Par exemple, quand on a des valeurs en commun, même si on n’a pas forcément la même vision de la liberté, de l’égalité, de la solidarité, etc. – Le dernier niveau, c’est la roche mère, c’est à dire la pensée, le dépassement de l’opinion, la remise en question des évidences, des certitudes, des dogmes et donc du sectarisme qui va souvent avec. La roche mère est la pure théorie qui n’a aucun intérêt en tant que telle, qui n’est pas une fin en soi, même si des sophistes et des philosophes de salon en font un but absolu pour mieux se voiler la face, occulter les réalités humaines et éviter la nécessaire confrontation qui, seule, peut éprouver la valeur des idées, hors du vase-clos. Au niveau de la roche mère, on peut s’amuser à tourner en rond : pas d’air, pas de vie, juste la pierre, la pierre philosophale et se gargariser de cela. La politique, c’est ça aussi, malheureusement.
UNE FAILLE, AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
En France, par-delà les disparités régionales et locales, j’ai de plus en plus l’impression qu’on sous-estime la richesse du sol et du sous-sol politique. C’est-à-dire le potentiel politique et révolutionnaire. Les ressources pour renverser l’imaginaire social. Et je ne m’appuie pas seulement sur l’Histoire pour dire cela, mais surtout sur l’observation récente et comparée, ces dernières années, en France et ailleurs. Oui, méfions-nous de l’eau qui dort.
Le séisme grec a probablement poussé sa faille au-delà des frontières et peut-être jusqu’en France. Nos tyrans qui croyaient que l’affaire allait en rester là se sont, sans doute, mis le doigt dans l’œil. Quelque chose fermente, malgré tout ce qu’on nous raconte, ici et là, et par-delà la résignation et les fourvoiements. Peu importe si c’est encore modeste, tant que ça frissonne, que ça résonne, que ça tremble.
METTRE LES PROBLÈMES RÉCURRENTS SUR LA TABLE
Ces jours-ci, les mouvements plutôt révolutionnaires ont fort justement compris que c’était le moment de mettre les problèmes récurrents sur la table, notamment sur la question du pouvoir, et certaines associations et organisations de la vraie gauche ne semblent pas en reste. Chacun à sa façon, bien sûr. Tout ça me semble plutôt positif, même si ça concerne encore trop peu de monde. Mais en Grèce et ailleurs, on a également commencé comme ça. Toujours.
Au moment où Podemos chute dans les sondages en Espagne pour diverses raisons (de 89 à 41 sièges) et où beaucoup de compagnons et camarades grecs sont encore K.O, ils seraient bon, en France, de se saisir de cet événement pour multiplier les débats un peu partout. Il serait judicieux de profiter du choc à l’envers pour une fois. C’est-à-dire en montrant du doigt nos tyrans et en évoquant nos désirs et nos hypothèses pour les renverser. Et, surtout, il est crucial d’agir pour que ça ne profite pas, encore, à l’extrême-droite et à ses complices. Rien n’est terminé. Justement parce que nos tyrans ne nous laissent plus le choix et nous poussent, malgré eux, à agir autrement. Cela va peut-être ouvrir des perspectives.
En dépit des apparences et malgré ce qui est annoncé partout, je ne suis pas sûr que les Le Pen deviennent, en France, les grands gagnante de ce mythe grec contemporain.
Utopie ou dystopie ? Cela dépendra aussi de nous.
Y.Y.
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