mercredi 28 janvier 2015, par ocl-lyon
Le gouvernement actuel a pris la relève du précédent pour continuer à donner des outils décisifs au patronat, inscrivant dans la loi la dégradation des rapports de force enregistrée sur le terrain et dessinant un nouveau modèle d’exploitation (1).
Ceux qui ont le pouvoir économique défendent férocement leurs intérêts. Ne pouvant compter (à court terme) sur la croissance pour continuer à engranger des bénéfices, il s’agit pour eux de capter la part la plus grosse possible des richesses, afin de relancer l’accumulation du capital. Pour cela ils réclament toujours plus de mesures en leur faveur. Les gouvernements, quelle que soit leur étiquette, les suivent dans leur stratégie de rapacité en libéralisant le marché du travail et en coupant dans les dépenses publiques. Cela évidemment correspond aux impératifs affichés par la Troïka (2) et appliqués par les Etats avec une grande brutalité dans toute l’Europe, plongeant les populations dans la précarité et la misère. L’Etat français, lui, est montré du doigt pour sa trop grande lenteur à instaurer des réformes dites structurelles destinées à « assainir » les comptes publics et à rendre l’économie française plus « compétitive ». Au nom du redressement économique et du remboursement de la dette, le gouvernement s’emploie à poursuivre la mise en place d’un nouveau modèle d’exploitation fondé sur un allègement du mal-nommé « coût » du travail et sur une flexibilité maximale, qui vise à donner toute sécurité aux patrons et aux financiers. A ceux-ci donc des faveurs toujours plus grandes ; aux travailleurs-ses avec ou sans emploi des réductions toujours plus importantes de leurs maigres garanties.
Le capitalisme dicte sa loi…
Fortes des concessions déjà obtenues – les contre-réformes des retraites et de l’Unedic, l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), le pacte de responsabilité (cf. encart)…- , les organisations patronales, le Medef en tête, expriment haut et fort leurs exigences, n’hésitant pas à se mobiliser et à descendre dans la rue pour « libérer l’entreprise » et pour obtenir le démantèlement progressif de toute législation sociale. Les propositions faites par Gattaz, en septembre, dans son petit livre jaune (sic) intitulé 1 million d’emplois…c’est possible ! , étaient apparues provocatrices dans leur démesure, arrachant des cris d’orfraie aux dirigeants syndicaux. Or elles ne font qu’annoncer, pour la plupart, les mesures que le gouvernement prévoit de mettre en place. Parmi les propositions les plus emblématiques du patron du Medef, figurent la suppression de deux jours fériés par an, des dérogations à la durée légale du travail et au salaire minimum pour certains chômeurs-ses (un salaire inférieur au SMIC, compensé par une rémunération de l’Etat, ce qui coûterait un tiers de moins à l’entreprise), l’autorisation des commerces à ouvrir le soir et le dimanche, la suppression de la taxe sur les transactions financières, la réouverture du dossier des indemnités de chômage jugées trop généreuses, le recul de l’âge de la retraite, la création d’un contrat « zéro charges » apprentis, la suppression des fiscalités (locales, énergétique, écologiques, etc.) sur les outils industriels, la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), la création dans tous les secteurs de « contrats de projet » (nouveau type de contrat de travail prenant fin une fois le projet réalisé), la remise en cause des seuils sociaux dans les entreprises… Dans le livre « Français, bougeons-nous ! » publié en octobre, Gattaz enfonce le clou et identifie des « fléaux culturels à abattre ». Le premier, selon lui, est « la persistance d’une lutte des classes larvée (3) qui continue d’influencer la politique française, certains organes de presse, certains syndicats et, de façon plus ou moins subliminale, notre administration. Ce « trotskysme » caché est sans doute l’élément le plus démotivant pour les forces vives de notre pays, et pour les patrons français ».
… L’Etat s’applique à la mettre en musique …
Patronat, financiers et gouvernement jouent la même partition, même si, pour la galerie, ils jouent la surenchère et feignent parfois de se chamailler. Ainsi Macron, dès sa nomination en août au poste de ministre de l’économie, lançait l’idée d’autoriser les entreprises à déroger aux 35h et au Smic. Valls, avant lui, en 2011, déclarait qu’il fallait « déverrouiller les 35h », et en août, devant le Medef, il se disait prêt à aménager le code du travail dans le sens du patronat. Fabius, dans le même temps, remettait en question le code du travail, les 35h, l’âge de départ à la retraite, les seuils sociaux, le travail le dimanche ; autant de verrous qui, selon lui, ont contribué à « réduire les trop faibles marges des entreprises ». On reparle à nouveau d’une réforme des retraites, et pour commencer les complémentaires (Agirc pour les cadres et Arrco pour l’ensemble des salarié-es du privé). Certes, ces attaques contre les travailleurs-ses ne sont pas toutes à l’ordre du jour, mais quantité ont déjà été menées et d’autres sont à venir à très court terme.
En voici quelques exemples.
Au début de l’été 2014, en annonçant le report à 2016 de la mise en place du compte pénibilité (4), Valls a fait un cadeau aux patrons qui jugeaient cette mesure « inapplicable » et « anxiogène ». Pourtant elle avait été déjà complètement revue à la baisse, en termes de financement et de nombre de critères de pénibilité.
Les 50 mesures de la loi de « simplification administrative » du 18 octobre sont destinées principalement à faciliter la vie des patrons. Pour exemples : l’allégement des obligations du droit du travail en matière de protection et de sécurité des salarié-es (visite médicale, définition des aptitudes ou inaptitudes professionnelles) ; la modification au rabais des règles de protection, notamment sur les machines dangereuses et pour les travaux en hauteur, afin de faciliter l’embauche des apprentis. Des négociations ouvertes début octobre doivent déboucher sur une réforme des institutions représentatives du personnel et du dialogue social en entreprise. L’objectif est de libérer toujours un peu plus les patrons du respect de leurs obligations sociales et fiscales en matière de droits des salarié-es. Un des points d’achoppement repose sur les seuils sociaux dont dépendent les règles de représentation des salarié-es dans l’entreprise : nomination de délégué-es du personnel à partir de dix salarié-es, création d’un comité d’entreprise si plus de 50 employé-es, etc… Ces seuils d’effectifs sont perçus comme « un frein à l’embauche et à la croissance » par les organisations patronales, et le ministre du travail lui-même considère qu’ils « pénalisent l’entreprise » et propose de les suspendre pendant 3 ans. Plus généralement, le patronat voudrait que les règles de négociation collective soient décidées au niveau de l’entreprise et que les règles sur les institutions représentatives du personnel (Comité d’entreprise, Comité hygiène et sécurité – CHST…) fixées par le code du travail puissent être librement adaptées dans chaque entreprise. Le droit du travail – les garanties contractuelles et juridiques que contient le rapport salarial classique – offre encore quelques maigres garanties aux salarié-es. Or, il est progressivement détricoté pour servir de variable d’ajustement : « Globalement, nous proposons de simplifier le code du travail et d’inverser la hiérarchie des normes. (…) Demain c’est dans l’entreprise que tout doit se passer » (Gattaz). Si l’essentiel de la régulation sociale se fait au niveau de la branche ou de l’entreprise, cela donne aux patrons un maximum de liberté. Une telle pratique est déjà quasiment généralisée, appuyée par une législation qui alimente depuis une dizaine d’années la déconstruction du droit du travail (5) et qui permet des foultitudes de dérogations favorables aux patrons. Ce démantèlement de la législation sociale est en train de se poursuivre, de manière à atomiser au maximum les salarié-es et à déséquilibrer toujours plus le rapport de forces entre travail et capital. Les nouvelles mesures que s’apprête à prendre le gouvernement avec le projet de loi Macron sur « l’activité et l’égalité des chances économiques », qui sera examiné au parlement en janvier 2015, répondent elles aussi à cet objectif : « lever tous les blocages » à la réalisation des profits. Un des volets du projet de loi concerne l’ « assouplisement » de la loi sur le travail du dimanche et du soir par l’extension des horaires d’ouverture des commerces. Le texte prévoit que les magasins non alimentaires pourront ouvrir 5 dimanches/an sur simple demande (et non sur autorisation préalable) et que les maires pourront accorder l’ouverture jusqu’à 12 dimanches/an au total (6). De plus, il crée des « zones touristiques internationales », dont des gares, où le travail tous les dimanches et en soirée serait la norme. Les salarié-es devraient être volontaires (vaste blague, vu la précarité des salarié-es du commerce…) et recevraient une « compensation salariale » négociée au niveau des branches (autre vaste blague, vu l’état du rapport de force et la rapacité des patrons). L’objectif de cette loi est en fait plus idéologique qu’économique : il s’agit d’imposer la banalisation du travail n’importe quand, de le flexibiliser et précariser à outrance, quitte à détruire les rythmes de vie, la santé des salarié-es, et à leur pourrir un peu plus l’existence. Cela permet aussi d’institutionnaliser plus encore les dérogations comme mode de gestion.
Le gouvernement écoute aussi les instances européennes …
La Commission européenne exige que la France revoie une nouvelle fois sa copie en matière de réformes structurelles et de coupes budgétaires d’ici mars 2015 pour se mettre « en conformité » avec le « pacte de stabilité et de croissance ». Pourtant, cela fait plus de cinq ans que des mesures de rigueur budgétaire sont prises. Il faut non seulement compenser les pertes de ressources publiques dues aux dizaines de milliards d’exonérations de cotisations et d’impôts patronaux, mais aussi réduire le déficit public, conformément donc à la doxa européenne. D’où le plan draconien d’austérité, instauré cette année par le gouvernement en même temps que le pacte de responsabilité : 50 milliards de coupes claires dans les budgets de l’Etat d’ici 2017, qui s’ajoutent aux 15 milliards de réductions en 2014. Sont prévues des restrictions budgétaires tous azimuts : coupes pour les fonctionnaires (suppressions de postes, gel ou réduction des salaires) et pour les collectivités locales (baisse des transferts, dotations réduites) ; coupes dans la protection sociale (retraites, assurance maladie, chômage…) ; coupes dans les services publics (fermetures d’hôpitaux, de classes…) ; gel des prestations sociales ; privatisations (les systèmes de sécurité sociale, de santé, les entreprises d’État dites « publiques », les administrations…) ; poursuite de la cession de certains actifs de l’Etat… Ces mesures qui entraînent la dégradation constante des équipements collectifs et des services publics, renforcent des inégalités à la fois sociales et territoriales et touchent en priorité les populations les plus précaires, les femmes, les jeunes, les classes populaires.
Mais toutes ces restrictions ne sont pas encore suffisantes : plusieurs dispositions sur le « travailler plus » figurent dans le catalogue des mesures régulièrement évoquées en faveur de la « croissance française » par l’OCDE et la Troïka. D’ailleurs Macron est tout prêt à prendre en compte les préconisations des économistes Pisani-Ferry et Enderlein qui visent à rapprocher les économies française et allemande. Pour la France, Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, suggère d’aménager le temps de travail « sans remettre en cause la durée légale des 35h » et d’assouplir les conditions du CDI (coût et délais de licenciement) « afin d’encourager son utilisation ». Il préconise aussi d’indexer davantage les salaires à la productivité et notamment le SMIC.
De nouveaux chantiers risquent donc de s’ouvrir suite à ces préconisations qui invitent d’une part à poursuivre les mesures de rigueur afin de « ramener la dépense publique à 50% du PIB dans les années à venir », d’autre part à parachever la construction d’un modèle de flexibilité maximale du marché du travail et la mise en pièces du droit du travail.
Ainsi la loi dite de « sécurisation de l’emploi » (ANI, avril 2013), qui sert totalement les intérêts patronaux, pourrait être rendue plus « offensive » encore. Les accords contenus dans cette loi sont des facilités offertes pendant deux ans aux employeurs dont l’entreprise est en difficulté (7) ; ils ne permettent pas pour autant de déroger aux 35h. Mais comme il est possible de jouer sur l’organisation du travail et baisser les rémunérations, on peut arriver à ce que les salarié-es travaillent davantage sans toucher plus. L’idée de Macron serait d’aller plus loin, en rendant ces accords utilisables par les patrons même quand ils ne rencontrent pas de « graves difficultés » et en allongeant leur durée à plus de deux ans. De leur côté, les patrons voudraient que les accords, signés avec les représentants du personnel, s’imposent automatiquement aux salarié-es et que, s’ils les refusent, ils soient obligés de démissionner, purement et simplement. Ceci pour éviter de les licencier en leur devant des indemnités de rupture. Des modifications de ce type aggravant encore l’ANI risquent d’être négociées en janvier, patronat et syndicats devant se retrouver pour en tirer le bilan.
Pour ce qui est du salaire minimum, Macron se défend de vouloir en modifier le calcul. Pourtant, le débat sur la création d’un sous-smic revient comme une rengaine depuis plusieurs années. Après Gattaz qui a lancé l’idée d’un « smic intermédiaire » pour les jeunes ou pour ceux « qui ne trouvent pas de travail », Lamy (ex-directeur de l’OMC) s’est dit favorable à des « boulots pas forcément payés au smic ». Quant à Macron, il s’est rangé aux côtés de son homologue allemand pour estimer qu’une convergence des salaires minima des deux pays d’ici 10 ans était « un bon horizon ». S’il faut en venir à un alignement des smic allemand et français, gageons que c’est le smic allemand, inférieur à 10%, qui servira d’étalon…
Quant au CDI, considéré par les patrons comme un facteur de rigidité, il est toujours plus attaqué en tant que norme du droit du travail. Les embauches en contrat à durée indéterminée ont baissé de 10,5% et les CDD deviennent la règle ; leur part dans les embauches atteint 86% des recrutements début 2013, et les contrats de moins d’un mois ont doublé en 10 ans. L’ANI a innové en introduisant dans plusieurs secteurs le CDII, contrat à durée indéterminée intermittent ( !) : quand on travaille quelques mois, on voit sa rémunération lissée sur l’année, tout comme son droit aux indemnités de chômage…. L’imagination est sans bornes quand il s’agit de décliner des contrats de travail toujours plus précaires.
On n’en a pas fini avec les mesures visant à « déverrouiller » ce qui « freine » les patrons et les financiers, à « libérer » leur potentiel d’exploitation pour qu’ils accroissent leurs profits… Il faut s’attendre à une dégradation importante des conditions sociales, qui entraînera sans doute une progression des tensions sociales. Pour qu’elles se traduisent en mouvements collectifs capables de briser l’offensive des capitalistes et d’ouvrir de nouvelles perspectives émancipatrices, Il faut plus que jamais s’employer à (re)constituer un rapport de force.
Kris, le 19 décembre 2014
Pacte de responsabilité
Adopté par la loi l’été dernier, ce pacte réduit une fois de plus les cotisations sociales des patrons. D’ici 2017, 41 milliards d’euros par an leur seront alloués, sans aucune contrepartie de leur part, sous forme d’exonérations et d’allègements de cotisations et d’impôts, en incluant les 20 milliards déjà accordés dans le cadre du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE, adopté en décembre 2012, et payé via une hausse de la TVA de 3% depuis janvier 2014). Un pacte accueilli d’autant plus favorablement par le Medef que celui-ci en était l’inspirateur avec son « pacte de confiance » proposé en novembre 2013. 36 milliards d’€ de cotisations sociales versées chaque année par les patrons des entreprises privées seront ainsi supprimés ; c’est un coup supplémentaire porté au financement de la sécurité sociale et des prestations solidaires. De plus, le pacte contient des mesures nouvelles qui incitent les patrons à rémunérer le moins possible les salarié-es ; dès 2015, les cotisations patronales pour tout salaire payé au SMIC seront entièrement supprimées.
Notes
1 – Cet article présente certains des « dispositifs » gouvernementaux à venir qui vont continuer d’aggraver la situation des travailleurs-ses avec ou sans emploi. Ne sont pas abordées ici l’analyse du climat social actuel ni la question des perspectives des luttes, qui devraient faire l’objet d’un autre article.
2 – La Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.
3 – Ironie : Gattaz reconnaît l’existence de la lutte des classes, alors que Berger de la CFDT la nie : « Le syndicalisme, c’est utile pour les salariés et pour les entreprises. Si ce n’est pas clair pour le patronat, cela veut dire qu’il en est encore à la lutte des classes ».
4 – La prise en compte de la pénibilité au travail, accompagnant la contre-réforme des retraites votée en décembre 2013, avait été présentée comme une contrepartie en faveur des travailleurs-ses ; elle devait entrer en vigueur le 1° janvier 2015…
5 – Les conventions et accords collectifs sont devenus un outil de gestion au service de la flexibilité. La loi du 20 août 2004 a aboli le principe de faveur en permettant à un accord d’entreprise de déroger dans un sens moins favorable à un accord supérieur et même à la loi dans 32 domaines, tels que les contrats précaires, la durée et l’organisation du travail. Ainsi, lhiérarchie des normes est contestée : les salarié-es ne peuvent plus refuser un avenant à leur contrat de travail si un accord d’entreprise le prévoit.
6 – Des voix hostiles s’élevant dans les rangs mêmes du gouvernement et du PS, le nombre de jours d’ouverture autorisé pourrait être réduit.
7 – Le patron, plutôt que de licencier, peut imposer aux salarié-es des reclassements, des mobilités forcées, des changements d’horaires et des baisses de salaire, ceci sans garantie du maintien des emplois. Le refus du salarié pourra entraîner son licenciement, qu’il ne pourra contester, parce que le licenciement pourra être qualifié « pour motif personnel ».
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