12 janvier 2015 par Commission Journal (mensuel)
Si l’extrême droite est systématiquement productiviste et partisane de la croissance, elle peut teinter son discours d’un écologisme de façade, où la nature est vue comme un élément de l’identité nationale. Antihumanistes et malthusiennes, ces conceptions peuvent attirer quelques écologistes perdus, la vigilance est donc de mise.
Les positions de l’extrême droite sur l’écologie sont variables. Il existe des différences entre les courants. Les brusques volte-faces dans le discours, par exemple au FN, sont la manifestation d’un opportunisme qui adapte le discours à ce qui semble le plus porteur. Mais malgré ces variations, il existe une constante : jamais la logique productiviste n’est mise en cause. L’extrême droite continue de porter une vision d’un ordre naturel et par extension d’un ordre social naturel. Le Grece et la Nouvelle droite (groupes d’intellectuels qui ont œuvré à la diffusion des idées d’extrême droite) ont manifesté la volonté de promouvoir un écologisme d’extrême droite construit à partir d’un ordre social hiérarchique et inégalitaire présenté comme naturel. Les théories sur la terre, la biologie, les problématiques du darwinisme et du malthusianisme sont appelées à la rescousse pour aboutir à une biologisation du politique et du social, à l’eugénisme, à la défense de la race et/ou de la culture européenne. La nation est décrite comme une communauté de sang liée à un territoire et à un patrimoine naturel. Sa défense passe aussi par la défense des paysages, de la flore et de la faune, etc.
L’écologie appelée à la rescousse par la réaction !
En 2012, le programme de Marine Le Pen affirmait : « Le respect des lois de la nature et la maîtrise du développement économique, agricole et industriel de la France participent par ailleurs de la défense de l’identité nationale. » Un éditorial de la revue d’extrême droite Réfléchir et agir est plus précis : « Avec la défense des cultures et ethnies européennes, l’écologie doit être au cœur même de nos préoccupations principales. En effet, protéger le sang si fragile de nos vieilles races d’Europe, nos traditions, nos sites, nos forêts, notre flore, notre faune, n’est-ce pas défendre ce que nous sommes en tant que peuple enraciné sur un territoire ? » La défense de la biodiversité est aussi transposée au niveau des cultures et des ethnies, en transformant les groupes humains quasiment en espèces différentes.
Peu importe par ailleurs les nombreuses contradictions des discours d’extrême droite : ainsi la prétention à préserver une terre saine ne se traduit pas par la mise en cause de l’agriculture productiviste ; la protection des animaux n’est pas liée à un combat contre l’élevage intensif… De ce point de vue, l’évolution du programme du Front national est assez intéressante, de 2002 à 2012. Ainsi sur la question de l’agriculture, le FN passe d’une certaine promotion d’une agriculture biologique, à la défense de l’agriculture raisonnée [1] dans le programme de Marine Le Pen. Toujours en 2002, le FN reprenait quasiment in extenso le discours d’associations de protection animale. Mais en 2012 le programme se limite à réclamer l’aménagement des conditions de l’élevage industriel : « La législation concernant l’élevage en batterie sera revue afin d’offrir un espace vital décent aux animaux. »
Au fond, le FN défend une agriculture, vue comme un ordre traditionnel, où le lien entre les hommes et les animaux est central. De même la volonté attrape-tout du FN se manifeste quand la défense des paysages est combinée à celle des autoroutes et des automobiles. La reprise du thème de la relocalisation de la production par Marine Le Pen est du même acabit : « La question de l’écologie se pose d’abord en termes d’échanges. La question c’est de savoir : est-ce qu’on continue à aller produire à 10 000 kilomètres en Chine ou est-ce qu’on essaie de produire au plus près des lieux de consommation dans notre pays, ce qui fera moins de transport, moins de pollution, et plus de respect des normes environnementales. Ça, c’est la vraie écologie. C’est pour ça que vous avez raison de parler de patriotisme écologique » [2] . Il ne s’agit que de la reprise du « Produisons français, achetons français », sans remettre en cause les rapports entre pays du Nord et du Sud et sans s’attaquer à la mondialisation de la production. La conception de l’écologie au FN se résume ainsi à sa conception nationaliste et xénophobe : « L’enjeu environnemental est très lié […] à la maîtrise internationale des migrations. »
Ces écologistes tentés par le fascisme
À la marge, il est possible de rencontrer des écologistes qui adhèrent à la conception de l’écologie de l’extrême droite, par exemple au sein du mouvement de protection animale, où une partie se radicalise sur une dérive antihumaniste. Mais d’autres dérives sont possibles.
Même si le Front national est partisan de la croissance, des tentatives de liens entre l’extrême droite et les décroissants existent. Il en est ainsi du livre Demain, la décroissance d’Alain de Benoist, représentant éminent de la Nouvelle droite. La logique en est de dire : « Vous pouvez vous dire de gauche, je m’en fous, mais la critique que vous faites, c’est la même que la nôtre, c’est la critique des Lumières, du progrès. On est donc d’accord. Il faut qu’on se rassemble. » Si chez la majorité des décroissants, la critique radicale de la croissance capitaliste, de ses dégâts sociaux et environnementaux immunise contre ces dérives, ce n’est pas un cas général au sein des écologistes, quand par exemple Antoine Waechter, ancien candidat des Verts à la présidentielle flirte avec Alain de Benoist et la Nouvelle droite [3] et donne une interview à Minute.
Plus dangereuses sont les possibles dérives venant de l’écologie profonde. Celle-ci affirme la valeur intrinsèque de la nature, que cette dernière ne se mesure pas à son utilité au service de l’humanité, mais pour elle-même. La question de savoir si chaque espèce, animale ou végétale, a les mêmes droits que l’humanité est un débat très honorable. Mais il existe un glissement politique quand certains défendent l’idée que le problème principal, c’est l’humanité qui menace les autres espèces. Et donc qu’il faudrait réduire la population. Les glissements racistes peuvent ensuite très vite suivre, parce que la question de la population est un des points d’entrée pour un discours réactionnaire qui se développe par exemple aux Etats-Unis aujourd’hui : « On est trop sur la planète. Il faut défendre la nature. Ils arrivent, oh là là, arrêtons les ! »
Construire les contre-feux nécessaires
Pour se garder des dérives facilitant la marche au pouvoir de l’extrême droite, pour faire face à ces tentatives de liaisons bruns-verts, il est urgent de dresser des cordons sanitaires empêchant l’infiltration de l’extrême droite, de la réaction et de leurs alliés objectifs dans les luttes écologiques.
1) L’humanité est apparue au sein de la nature, mais aujourd’hui tous les écosystèmes sont à des degrés divers façonnés par l’homme. Il ne peut s’agir de revenir à une nature vierge, mais de trouver un équilibre dynamique permettant la préservation de la biodiversité. Nous devons combattre toutes les idéologies qui postulent l’existence d’un ordre naturel et par glissement d’un ordre social naturel.
2) Parler de crise écologique, c’est aborder des problèmes planétaires. Toute logique nationaliste est incapable d’y apporter quelque solution que ce soit. Pour résoudre les problèmes écologiques, seule une logique altermondialiste a un sens.
3) Vouloir défendre la nature par des mesures qui ne tiennent pas compte des besoins de la population, en faisant payer aux peuples et aux opprimés le coût de la crise écologique, c’est une illusion totale, ou pire, une porte ouverte au fascisme.
4) Et donc pour nous, lier les revendications écologiques et sociales dans un même discours qui démontre que nous entendons résoudre les problèmes en s’attaquant aux deux bouts de la crise, l’angle social et l’angle écologiste, et en s’appuyant sur une orientation internationaliste.
Cela signifie que face à un projet de délocalisation, l’enjeu ne peut être ni de se limiter à une logique protectionniste (« Produisons français »), ni de laisser filer les usines vers les pays du Sud, là où les contraintes environnementales sont moins fortes. En liant d’un coté une défense inconditionnelle de l’emploi ici et ailleurs et de l’autre les nécessités écologiques, nous pouvons être amenés à défendre soit des projets de reconversion industrielle, soit des relocalisations de la production. Lâcher sur l’un des quatre points cités plus haut, c’est ouvrir la porte au dévoiement des luttes écologiques
Jacques Dubart (AL Agen)
[1] C’est à dire quand la FNSEA affirme : on va mettre un peu moins de pesticides.
[2] Mercredi 18 juin 2014 – Questions d’Info sur France Info
[3] En 1997, il déclarait au Badische Zeitung que le nombre des immigrants en France devait être contrôlé pour des raisons écologiques.
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