Violences policières sur fond de fête des lumières

Publié le 15 décembre 2014

J’ai hésité à partager ça, mais pourquoi pas ? Avant tout, ça reste une expérience mémorable qui a eu le mérite de mettre un peu de piment à ma vie…

Avec mes trois potes Clément, Dimitri et Curtis, nous étions à Lyon samedi soir. Nous étions imprégnés par la profonde aspiration de nous laisser envoûter par la douce atmosphère enchanteresse de la Fête des Lumières. Et en effet, c’était magnifique. Mais un peu plus d’adrénaline et de testostérone exacerbée n’auraient pas été de refus. Pour notre plus grand bonheur, le meilleur restait à venir, avec de l’action en prime.

En milieu de soirée, nous croisons un échafaudage. Très gentiment, il nous propose de nous transporter au neuvième étage d’un bâtiment surplombant la place Bellecour. La vue y est probablement splendide, l’occasion est trop belle et unique, elle ne se refuse pas. On laisse Curtis en bas en compagnie de sa musique, on lui promet d’être rapidement de retour, et on saute sur l’échafaudage qui en deux temps et pas beaucoup plus de mouvements nous propulse tout en haut. Un individu de parole, cet échafaudage. Et le public apprécie la vue :
 » Regarde ma fille, des artistes qui grimpent tout en haut ! C’est étonnant que la lumière ne soit pas au rendez-vous, mais ça vaut le coup d’œil ! »

On se retrouve donc sur le toit dont on fait rapidement le tour, on prend un selfie en haut de la cheminée pour immortaliser la vue, et on se propose de redescendre pour rejoindre Curtis. Je fais un dernier run avant de partir, lorsque je vois un bras sortir d’un velux comme un diable de sa boîte.
 » Hop là », je m’exclame en l’esquivant, « la ville est décidément très enchantée ce soir ! ».
On a dû inquiéter un locataire… Allons le voir rapidement pour le rassurer, lui expliquer qu’on voulait seulement profiter de la vue, et lui assurer qu’on était justement en train de redescendre.
 » Ramenez vos gueules ici, tout de suite !! »
Il a l’air plus en colère qu’inquiet, et puis à bien y regarder il ressemble plus à un flic qu’à un locataire. Tant pis, il ne sera pas dit que nous fuyons devant la police. Prenons le temps de nous excuser platement, d’expliquer nos motivation et l’esprit de notre discipline, et avec un peu de chance 10% du message sera écouté.

On descend donc par le velux pour retrouver dans la cage d’escalier celui que nous appellerons désormais Jean-Michel Véner (par souci de discrétion), sa collègue Marie Jeanpeuplu et un troisième policier, Julius Larbinus. Comme d’habitude dans ce genre de situations, on est plein de bonne volonté et d’excuses franches prêtes à être servies.
 » Bonsoir ! Déjà, on est sincèrement désolés de vous avoir dérangé, on comprend que ça paraisse inconscient et dangereux. Quoiqu’il en soit ne vous inquiétez pas, on ne va pas tenter de s’enfuir.

 Pour commencer, vous allez plutôt vous la fermer et enlever ces sales sourires de vos faces ! »
Jean Michel Véner porte bien son surnom, et ce n’est qu’une entrée en matière. Clément et Dimitri ravalent instantanément leurs sourires, et tournent leurs yeux vers moi, craignant d’ores et déjà que ça dégénère. Et en effet, j’ai beau essayer comme je peux de penser à quelque chose de triste, un résidu de sourire doit subsister sur mon visage.

 » Montrez-nous vos papiers !

 Ah désolé, on ne les a pas sur nous, on a laissé nos sacs en bas…

 On ira donc au commissariat, dommage pour vous… »
Jean-Michel interrompt Marie Jeanpeuplu pour m’asséner :
 » Toi, tu vas arrêter de sourire tout de suite ou ça va mal finir !

 Pardon ? Je suis vraiment en train de sourire là ?! Désolé, j’ai peur d’être comme ça naturellement !

 ENLEVE ton sourire ou je te mets une mandale…

 Oula du calme, déjà vous n’avez pas le droit, et en plus ça n’arrangera rien…
… Bon. D’accord, j’essaie mais arrêtez de me regarder comme ça, ça n’aide pas ! »

Pendant ce temps là, Marie prend discrètement Dimitri à part et lui demande si je suis simplet. Dim ne comprend pas au début, puis il ne saisit pas, et enfin après trois répétitions il s’écrie :
« Hein ?! Ah non pas du tout, c’est un mec normal ! »

 » J’TE JURE JE VAIS T’EN METTRE UNE !!

 Patientez deux secondes… C’est bon je ne souris plus, regardez ! Ah non mince trop tard, attendez je ré-essaie. »
BAM !! Il tient parole et essaie de me mettre une grosse patate. Ou plutôt cinquante d’affilée. Sans me consulter au préalable, mon corps se met aussitôt en position de défense. Je rentre le menton, je colle l’oreille à mon bras droit qui repousse Jean-Mi, et je me protège du bras gauche. Et il enchaîne, il enchaîne, une volée de coups de poing avec ses gants renforcés. Je n’avais encore jamais vu personne aussi déchaîné, il est à présent sorti à des kilomètres des ses gonds. Et il faut que ce soit un flic, et sur moi. Pour un sourire. Mon fameux sourire dévastateur, qui pour une fois est dévastateur pour moi.

Je me demande si je dois riposter, je lève le regard. Julius Larbinus a sorti la matraque, il va peut-être avoir le bon sens de nous séparer. Comment ??! Mais c’est moi qu’il regarde, et c’est moi qu’il veut frapper ?!!
 » C’est bon ça suffit là ! » je m’exclame, ex-calme. « Vous êtes témoin, je n’ai rien fait, je ne lui ai pas rendu un seul de ses coups ni menacé une seule fois !!! »
Jean-Mi hurle à présent.
 » Enlève tes mains ! ENLEVE tes mains !!! »
Je réalise que c’est en l’étranglant que j’essaie de le repousser. Je le lâche donc en continuant d’essayer d’esquiver les coups. Il n’en reste pas moins sur cette idée fixe :
 » ENLEVE TES MAINS !!

 Ok ok, mais il faut bien que je me protège un peu quand même !

 ENLEVE LES !!!

 Mais elles ne sont plus là mes mains, regardez ! »
Il attrape alors la main que je lui montre et tente de me casser le pouce.

Enfin, Marie a la bonne idée de s’interposer et d’attraper Jean-Michel Véner pour l’arrêter dans sa folie. Elle se place entre lui et moi. Quelques secondes et un ange protecteur passent.
 » Bon. Désolée pour ça. On est des êtres humains nous aussi, on peut péter des câbles, on en est vraiment désolés.
… Hum. Ca va quand même ?

 Moi ça va, j’ai rien du tout, par contre lui je ne suis pas sûr que… bon, je ne vais pas en rajouter. »
On discute un petit peu, Clément appelle Curtis pour lui dire qu’on arrive et que rien de fâcheux ne s’est passé, et Dimitri explique d’un ton paternaliste :
 » C’est quelqu’un de GENTIL, il sourit parce qu’il est comme ça tout le temps, il est juste GENTIL ! »

Jean-Mi reste toutefois prêt à rengager le combat, apparemment frustré de ne pas m’avoir assez abîmé. Blanc comme un linge, des yeux de fou, il me fixe avec son regard de tueur, et continue à essayer de m’impressionner. Il sort le grand jeu : il remonte plusieurs fois ses manches, il serre les poings et réajuste ses gants, il déclipse la poche de sa bombe lacrymogène… Le fait que je discute calmement avec ses collègues, toujours le sourire aux lèvres, semble l’excéder au plus haut point. Marie finit par craindre que ça ne recommence.
 » Julius, descends avec lui ou ça va vraiment mal finir. »

Bref, on descend, Marie s’excuse encore et risque même une blague sur les origines asiatiques de Clément qui le portent naturellement à la cascade sur les toits. Elle nous souhaite une bonne soirée quand même, me demande une dernière fois si je vais bien. Elle craint probablement (et c’est normal) que je ne porte plainte.
 » Oui ne vous inquiétez pas, à part une égratignure à l’arcade et un pouce foulé j’ai rien du tout ! Et puis cette bavure nous aura évité de finir au poste… En outre, ça va être drôle à raconter… »

J’en ai tout de même rêvé pendant les deux dernières nuits, de frustration de ne pas m’être battu. Je pense malgré tout avoir bien fait.

Voilà. Je ne vais pas porter plainte, je n’en vois pas l’intérêt et je n’ai même pas essayé de retenir le numéro de matricule du policier en question. J’ai pourtant deux témoins et sa photo, extraite de la vidéo de mon dernier run. J’imagine que le policier doit assez flipper pour que ça lui donne une leçon suffisante.
Mais je témoigne, et réalise contre mon gré que les bavures policières doivent exister. Les flics comme les autres humains peuvent péter des câbles sans raison. Comme ce sont souvent des personnes qui cherchent l’action, que le métier ne leur en fournit probablement pas toujours assez, comme ils sont tout de même soumis à un certain stress, ces crises sont peut-être même plus courantes chez la police que chez les civils. Et c’est là que ça devient dangereux, parce que le rôle de la police est de protéger la population, pas de la mettre en danger.

Rien n’est exagéré dans ce texte, la vérité seule est assez romancée pour ne pas avoir à chercher plus loin. Pour l’avoir demandé à mes potes, la seule entorse à la réalité est l’arrogance que j’ai ajoutée dans mes réparties. Il semble que j’aie été tout ce qu’il y a de plus respectueux, peut-être juste pas assez impressionné au goût de ce policier. Ça aurait pu être moi, ou n’importe qui d’autre qui lui aurait fourni un motif suffisant pour décharger ses nerfs. Sans vouloir comparer mon anecdote avec l’histoire de Rémi Fraisse, ça aurait aussi pu finir de façon dramatique.

J’aime moins le poulet, d’un coup. Et puis je n’aime pas trop le piment non plus.

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