VENDREDI 04 OCTOBRE 2013
Elisa Perrigueur
Arrêté par la police, le leader d’Aube dorée, Nikos Michaloliakos, a été inculpé hier et placé en détention provisoire.
KEYSTONE
GRECE L’enquête judiciaire débutée après le meurtre du musicien Pavlos Fyssas commence à percer la structure paramilitaire du troisième parti grec et les complicités policières.
C’est une première depuis la chute de la dictature grecque, en 1974: le chef d’un parti élu se retrouve derrière les barreaux. Le dirigeant d’Aube dorée, Nikos Michaloliakos, a été inculpé hier et placé en détention provisoire pour «constitution et appartenance à une organisation criminelle». Pour les sympathisants du parti néonazi, voir ainsi leur invulnérable «chef» menotté, tête baissée, encadré par les policiers, est un coup dur. Depuis mardi 1er octobre et le défilé de plusieurs membres d’Aube dorée au tribunal, un petit noyau dur de partisans crient leur colère, tentant d’assimiler toute la procédure à un «misérable complot», devant les tribunaux du quartier d’Evelpidon, à Athènes. Pourtant, l’enquête apporte chaque jour son lot inquiétant de révélations sur ce parti qui était jusqu’à peu la troisième force du pays.
«Soyez forts», hurlent les sympathisants d’Aube dorée à leurs dirigeants. Dans la foule, le député Antonios Gregos, qui a échappé aux arrestations, reste confiant. «La vérité vaincra et nous en sortirons vraiment renforcés!» prédit-t-il, bras croisés sur son tee-shirt noir Chryssi Avgi (Aube dorée). Pour ces ultras, la liberté conditionnelle octroyée à trois députés est une première «victoire», comme le crie leur jeune porte-parole au crâne rasé, Ilias Kassidiaris. Mais Nikos Michaloliakos, la «figure» historique du parti, n’est pas le seul dirigeant incarcéré. Le député Yiannis Lagos et quelques autres membres ont été maintenus en préventive.
Milices et entraînements
C’est l’assassinat d’un rappeur antifasciste, Pavlos Fyssas, par un membre du parti qui a enclenché l’enquête officielle sur le parti Aube dorée, le 19 septembre. Six députés, une vingtaine de membres d’Aube dorée mais également deux policiers sont accusés d’«appartenance à une organisation criminelle». La procédure tient en haleine la Grèce depuis les premières arrestations samedi 28 septembre. Elle repose sur les épaules d’un homme: le vice-procureur Charalambos Vourliotis.
Les révélations toujours plus inquiétantes informent sur une «machine» bien rodée et enracinée. Des groupes paramilitaires et des sections d’assaut étaient en effet éparpillés dans le pays. Le parti qui prône une discipline de fer et «la loi et l’ordre» avait mis en place un important programme d’entraînement, sur le modèle des forces spéciales, baptisé «Centaure». Pour les alimenter, il allait jusqu’à recruter des jeunes de 14 à 17 ans dans les lycées grecs.
Les forces de l’ordre soupçonnent désormais l’existence d’une ou plusieurs «caches» d’armes dans l’Attique, la région d’Athènes. «Aube dorée a une structure très militaire, tout se décide à travers son chef», précise Dimitri Psarras, auteur d’un livre noir sur le parti néonazi. Un fonctionnement que confirme le rapport du vice-procureur qui parle de «Führerprinzip». La pyramide est simple: dans les bureaux locaux qui maillent le territoire, un groupe de cinq responsables est chargé de rendre compte au «chef de cellule» des actions sanitaires ou de recrutement. Ce dernier rend lui-même son rapport au député compétent de la circonscription. Qui n’a de compte à rendre qu’au «chef».
Attirail nazi chez M. le député
Sur la dizaine de perquisitions effectuées ces derniers jours chez des membres arrêtés d’Aube dorée, une prise impressionnante a été faite chez le numéro deux du parti, Christos Pappas. Le député moustachu conservait chez lui un véritable attirail national-
socialiste: une baïonnette, des épées et des casques nazis portant la croix gammée ou la mention «SS» d’époque. Les policiers ont déniché chez le «chef», Nikos Michaloliakos, 43 000 euros en liquide et trois armes sans permis (un pistolet automatique, un revolver et une carabine).
Un penchant pour les armes qui n’est pas nouveau. Selon le rapport du vice-procureur, Aube dorée aurait commencé à jouer les gros bras à l’encontre de migrants ou de militants politiques dès 1987. Trois tentatives d’homicide et deux homicides volontaires, attentats à l’explosif, vol en bande organisée… La liste s’allonge au fil des années. Aube dorée faisait aussi chanter des marchands ambulants étrangers, nombreux à Athènes, en prélevant une somme sur leurs ventes en échange d’une «protection».
Comment de telles actions répertoriées en moins de deux semaines par la justice ont-elles pu être tolérées? Des voix, majoritairement de gauche ou antifascistes avaient déjà dénoncé les «liens», les «inactions» de la police envers les néonazis1. Le journal centriste To Vima avançait même «qu’un policier sur deux» votait pour Aube dorée. «Lors d’attaques contre des antifascistes ou des migrants qui durent depuis les années 1990, nous avons constaté que des policiers ne faisaient rien», s’insurge amer Takis Gianopoulos, membre de l’association
Antinazizone à Athènes.
Fonctionnaires suspendus
L’enquête judiciaire en cours pointe une brigadière de la circonscription et un patrouilleur, soupçonnés d’avoir livré des informations aux membres d’Aube dorée. Mais plusieurs arrestations ont semé le doute parmi l’opinion publique, sur une éventuelle implication d’autres membres de la police. Aussi, une enquête administrative a-t-elle été ouverte au sein de l’institution par le ministre de l’Intérieur. Plusieurs fonctionnaires ont été suspendus, deux hauts responsables ont donné leur démission et huit responsables ont été préventivement mutés pour l’objectivité de l’enquête sur Aube dorée. Qui ne fait que commencer.
1. Notre édition du 10 août dernier.
L’illusion judiciaire
Les premiers éléments de l’enquête ouverte contre Aube dorée confirment ce que la gauche dénonçait depuis longtemps: le parti néonazi usait de la force de façon stratégique et militarisée.
On ne peut qu’applaudir le soudain intérêt de la justice grecque pour ces troupes de fier-à-bras. Mais saura-t-elle remonter jusqu’aux têtes pensantes du parti, comme elle le laisse entendre aujourd’hui? Si la structure verticale d’Aube dorée laisse peu de doute sur les responsabilités réelles, la constitution de preuves judiciaires est une autre affaire. Or, on imagine l’ampleur de la catastrophe politique si les autorités devaient finalement disculper Nikos Michaloliakos après l’avoir incarcéré en grande pompe!
Quoi qu’il en soit, il serait illusoire de croire qu’il suffira de condamner quelques têtes de gondoles et jeter l’opprobre sur leur groupe pour faire refluer l’extrême droite. L’attraction qu’exerce ce courant de pensée n’est pas soluble dans la justice. Le succès d’Aube dorée est celui du repli identitaire provoqué par l’effondrement d’un système économique et social. Dès lors, les réponses ne peuvent être que de cet ordre. A défaut, un nouveau mouvement fascisant viendra relayer Aube dorée, comme celui-ci a succédé à LAOS, le parti ultranationaliste éjecté du parlement en 2012. BENITO PEREZ
Impact incertain sur l’extrême droite grecque
Une meute de gros bras, dont deux députés néonazis, portant le tee-shirt avec inscription Chryssi Avgi, détruisant avec rage des stands de migrants dans un marché. Des manifestants vêtus de noir, casqués et armés de bâtons hurlant le slogan «Sang, honneur, Aube dorée». Le leader et les partisans effectuant fièrement le salut nazi. Ces quinze derniers mois, les images violentes n’ont pas manqué de révéler la véritable nature d’Aube dorée, ce parti néonazi qui vante l’idée de «Nation Race» et d’une Grèce «nettoyée» d’immigrés. L’Aube dorée, propulsé de groupuscule (0,69% de voix en 2009) au statut de parti élu avec 7% des voix en 2012, a agi en toute impunité se forgeant un visage menaçant et prêt à tout pour «Protéger les Grecs de souche».
Il aura néanmoins fallu attendre l’assassinat du rappeur antifasciste Pavols Fyssas par un membre d’Aube dorée, pour qu’un «coup d’arrêt» lui soit porté. Pour certains, cette longue attente aura servi les intérêts politiques du chef du gouvernement Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie), comme l’exprime Dimitri Delialones, auteur d’une étude sur Aube dorée. «Le premier ministre croit beaucoup à la théorie des deux extrêmes, avec d’un côté Aube dorée et de l’autre, par certains critères, le principal parti d’opposition Syriza. Il voulait éviter la progression de ce dernier, pendant ce temps Aube dorée n’a cessé de grandir.»
Nick Malkoutzis du journal Kathimerini, va plus loin: «Sur le plan de l’immigration, Nouvelle Démocratie a également des idées radicales qui peuvent se rapprocher de celles d’Aube dorée. Dans un sens ils toléraient ce qu’il se passait.»
D’autres observateurs soulignent que le lancement d’une telle enquête nécessitait des éléments solides à charge, l’idée étant de porter un coup fatal au parti. Ainsi l’enquête sur l’assassinat, l’hiver dernier, d’un Pakistanais par deux Grecs, n’a pas encore permis de confirmer les liens directs avec Aube Dorée.
Ce qu’admet bien volontiers Nick Malkoutzis. «Il est clair que le gouvernement ne voulait pas attaquer Aube dorée, au risque d’en faire une victime, sans être sûr de l’anéantir. Le meurtre d’un rappeur blanc et grec était la ligne rouge.»
L’impact réel de l’affaire sur la politique grecque demeure incertain. Le procès peut prendre dix-huit mois avant d’aboutir à des condamnations ou à un non-lieu. En attendant, l’Etat explore la façon de museler la faction néonazie. Athènes pourrait ainsi bloquer ses subsides. «Cela l’affecterait beaucoup, précise Nick Malkoutzis, il ne pourra plus organiser ses activités diverses.»
Et d’ajouter: «Aube dorée a déjà commencé à chuter après le meurtre (passant de 14% à 7%, selon les sondages). Les personnes qui resteront sont celles qui suivent vraiment l’idéologie, ou celles qui qualifient toute l’action judiciaire de conspiration.» De plus, «en cas de nouvelles élections, un parti reconnu comme «organisation criminelle» pourrait également être invalidé par la Cour suprême, qui doit au préalable donner son autorisation», ajoute le journaliste. Enfin, le gouvernement devrait faire passer sous forme de projet de loi, un arsenal juridique pour lutter contre le racisme.
Reste que l’enquête ne peut être qu’un des éléments de réponse au phénomène Aube dorée. «Il ne faut pas sous-estimer ce parti, analyse l’auteur Dimitri Delialones, certaines personnes, du monde des médias ou des armateurs, qui ont aidé le parti financièrement ou dans ses actions, sont toujours actifs et n’ont pas été identifiés.»
Pour Vangelis Demeris, journaliste et auteur de La Face cachée de la crise grecque, «il a toujours existé, en Grèce, des voix d’extrême droite très dangereuses, mais ce qui a permis à ce parti de monter de cette façon est la misère dans laquelle vit la Grèce (27% de chômage, sixième année de récession). Certaines personnes sont désespérées au point de donner leur voix au diable.» Selon lui, en cas de condamnation des représentants, il n’est pas impossible qu’un nouveau parti d’extrême droite fasse son apparition dans la société grecque. EPR
Le Courrier
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