7 décembre 2019 Par Emmanuel Riondé
Odile Maurin, la militante toulousaine, figure des gilets jaunes et présidente de Handisocial, a été condamnée vendredi soir à deux mois de prison avec sursis et à un an d’interdiction de manifester pour des faits de « violences » contre des policiers. Au terme d’un procès où la fracture est apparue béante entre le peuple en colère et les institutions policières et judiciaires.
Toulouse, de notre correspondant.– « Ce pays qui n’est pas foutu de respecter les droits des handicapés veut m’interdire de manifester !? C’est niet. S’ils me mettent en prison, dans ma situation, ils mettent ma vie en danger, vu ce que sont les conditions de détention aujourd’hui. Mais il est hors de question que la peur m’empêche de prendre mes responsabilités… » Vendredi soir, à peine une demi-heure après l’énoncé du jugement de la cour du tribunal correctionnel de Toulouse, Odile Maurin, femme handicapée, présidente de Handisocial (association d’entraide et de défense des droits des personnes en situation de handicap ou de maladies invalidantes) et figure du mouvement des gilets jaunes à Toulouse, oscillait entre l’écœurement, la tristesse et la colère. Et se voyait renforcer dans son sentiment d’être la cible d’une opération de répression du mouvement social.
Au terme de trois heures d’audience, le juge Jérôme Glavany a condamné l’activiste à deux mois de prison avec sursis et un an d’interdiction de manifester. Pour des faits de « violence sur agent dépositaire de l’autorité publique » (plutôt que ceux de « violence avec usage ou menace d’une arme sans incapacité » établis au départ de la procédure) survenus le 30 mars dans le cadre de « l’acte 20 » des gilets jaunes. Une décision judiciaire sévère, dont Odile Maurin et son avocat Pascal Nakache, qui avait demandé sa relaxe, vont faire appel. En attendant, l’exécution provisoire dont est assorti le jugement permet une mise en détention immédiate, si elle devait être arrêtée en manifestation, par exemple ce samedi 7 pour « l’acte 56 ».
Un peu plus tôt, le ministère public avait requis à son égard 120 jours-amende à 10 euros/jour et une interdiction de manifester de deux ans dans le département. Les avocats des plaignants demandant 1800 € pour les « préjudices moraux » censés avoir été causés par Odile Maurin à leurs clients, deux policiers dont un seul était présent à l’audience. Des réquisitions voulant coller à des faits « graves mais simples » selon l’avocate d’un policier.
S’indignant d’un « procès transformé en tribunal politique », le procureur Guillaume Renoux a tenu à faire entendre la petite musique de l’ordre et du bâton : « On peut manifester dans les règles de la République mais quand un membre des forces de l’ordre nous dit quelque chose, on obéit. Parce que sinon… c’est l’anarchie ! » Ricanements dans la salle pleine, où avaient pris place neuf personnes en fauteuil roulant, dont une sous assistance respiratoire.
Odile Maurin face aux journalistes à l’issue de l’audience au tribunal de Toulouse, le 6 décembre 2019. © MR
De quels faits « graves et simples » est accusée Odile Maurin ? Les « outrages » et « provocations à la violence » via des images diffusées sur les réseaux sociaux, frappés de prescription juridique, sont écartés d’emblée par le tribunal. Reste une « entrave à l’arrivée de secours destinés à combattre un sinistre dangereux pour les personnes » et cette « violence avec usage ou menace d’une arme sans incapacité ».
En matière d’« entrave », le brigadier Laville ne sait plus trop si Odile Maurin a « bloqué » le camion équipé d’un canon à eau de la police avant ou pendant que celui-ci « éteignait un incendie ». En l’occurrence, un feu de barricade qui n’a pas laissé un souvenir trop dramatique aux Toulousains. En fait de « véhicule de secours », ce camion à eau de la police est un outil répressif, de sortie tous les samedis sur les boulevards. Son évocation répétée aux cours des débats inspirera à Pascal Nakache cette tirade : « Un camion de police, monsieur le président, n’est pas un camion de pompier. Les enfants, eux, ne confondent pas… Ils savent ce qu’est un camion de pompier et un camion de police, et s’ils vous ont commandé le rouge des pompiers, ils ne veulent pas le véhicule blanc ou bleu de la police… »
Les blessures aux « deux genoux » censées avoir été infligées au premier policier avec le fauteuil roulant paraissent très improbables, lorsque Odile Maurin donne à voir à la barre la configuration dudit fauteuil. Elle démontre ainsi qu’il ne pourrait atteindre qu’un « nain » dans cette partie du corps – « Vous pourriez dire personne de petite taille », la tance le président, énervé.
Quant aux blessures reçues à la cheville par le second, projeté au sol dans l’action, elles semblent davantage résulter du départ incontrôlé du fauteuil après une interaction d’autres agents de police sur son joystick, que d’une agression caractérisée de la militante. Elle, en revanche, est bel est bien sortie de ce 30 mars sur la place Arnaud-Bernard avec 5 fractures au pied.
L’audience s’est perdue en ratiocinations sur la position exacte du brigadier au moment de « l’attaque » du fauteuil ; sur la promptitude de la police à recueillir le témoignage d’une voisine assurant que Odile était « une menteuse » ; ou sur ce que racontent toutes les vidéos des évènements, versées ou non au dossier et dont beaucoup sont visibles sur le net…
Il fallait un certain goût du surréalisme, hier après-midi dans
la salle 5 du TGI de Toulouse, pour adhérer au récit servi par le
Parquet et les avocats des parties civiles, de policiers « violentés » par une quinquagénaire en fauteuil roulant « fonçant sur la cheville » d’un agent policier « pris en sandwich »
entre un camion de police et ce fameux fauteuil, dont l’avocate du
brigadier Laville a confirmé qu’il constituait bien, selon elle, « une arme ».
Comme en ont attesté son avocat et tous les témoins cités à la barre, dont le député Sébastien Nadot (exclu de LREM), Odile Maurin est une militante aguerrie au verbe toujours direct, souvent haut et parfois virulent. Mais aussi une « non-violente » de 55 ans qui, depuis le début du mouvement des gilets jaunes, tous les samedis ou presque, casquée, équipée d’une caméra et d’un masque à gaz, rappelle aux forces de l’ordre qu’elles enfreignent la loi, en ne portant pas leur matricule RIO ou en ne délivrant pas les sommations d’usage…
« Effectivement, je les embête, je ne serais pas poursuivie si je ne dérangeais pas. On veut m’intimider », assurait-elle vendredi en début d’après-midi devant le tribunal, ou une bonne centaine de personnes s’étaient rassemblées en soutien. « Les infractions ne sont pas caractérisées, on est sur des acrobaties juridiques, ça confine au ridicule », lâchait Pascal Nakache, par ailleurs président d’honneur de la LDH locale.
Dans une plaidoirie vibrante et combative, il restitue l’épaisseur politique de ce procès : « Depuis un an, tous les samedis, la peur traîne dans les rues de Toulouse, monsieur le président. Que se passe-t-il en France ? 20 000 gardes à vue d’un côté, et de l’autre des enquêtes de l’IGPN qui n’aboutissent pas, comme celle qui conclut que la mort de Steve Maia Caniço à Nantes n’a rien à voir avec la charge de police qui a précédé ! Notre pays est épinglé par des organisations internationales ! Je suis un défenseur des droits de l’homme et mes amis se font tirer dessus quasiment à toutes les manifestations… »
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Il ne s’agit pas d’une figure de style : la veille, à Toulouse, lors de la manifestation du 5 décembre, un membre de l’Observatoire des pratiques policières de la LDH a encore une fois été visé et a pris une balle de LBD dans le ventre. Pas de quoi émouvoir le procureur qui s’agace des nombreuses pièces versées au dossier pour documenter le climat répressif actuel en France. Ni le président qui tente, sans succès, d’intimider l’avocat d’Odile Maurin quand celui-ci dénonce « un ministère public qui s’affranchit de toute impartialité ».
Odile Maurin a enfin tenté d’expliquer le lien entre sa découverte il y a quelques années de « l’importance d’une norme sociale qui s’appelle le validisme » et son implication dans la lutte des gilets jaunes contre « une société capitaliste qui privilégie de fait l’individu, une bonne santé, la jeunesse ». Le tout dans un pays « dont l’ONU pointe la ségrégation et les atteintes aux droits humains ».
Une explication politique qui n’aura pas convaincu la justice. Sa sévérité inattendue inspirait ce commentaire à Pascal Nakache : « Ils y vont très très fort… »
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