Pierre Kropotkine établit une généalogie de la morale qui va à l’encontre de celle imposée par « les gouvernants, les hommes de loi et le clergé ». Il dénonce la religion et la loi comme morale fausse et défend une vraie morale naturelle, existant dans tout le règne animal.
Il cite Bernard de Mandeville (1670-1733) qui scandalisa l’Angleterre avec sa Fable des abeilles dans laquelle il montra que les coutumes soi-disant morales ne sont qu’un masque hypocrite.
À la question « Pourquoi serai-je moral ? », il refuse la plupart des réponses habituelles dont celle d’obéissance à la Bible qu’il considère comme « une collection de traditions babyloniennes et judaïques » et celle du « catégorique impératif » kantien qui n’a pas plus de droits que l’impératif qui lui ordonne régulièrement de se soûler.
Ne trouvant aucune raison valable, il conclu que la plupart ne sont que des préjugés et se réclame de la philosophie anarchiste : « Ne se courber devant aucune autorité, si respectée qu’elle soit ; n’accepter aucun principe, tant qu’il n’a pas été établi par la raison. »
Il constate que quoiqu’il fasse, l’homme recherche toujours un plaisir, ou bien évite une peine. Cette théorie de l’égoïsme, loi du monde organique, est l’essence même de la vie.
Chez les animaux, comme chez l’homme, est réputé bon ce qui est utile pour la préservation de la race, mauvais ce qui lui est nuisible.
Il dégage de l’observation de l’ensemble du règne animal, une moralité, supérieure au précepte chrétien « Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse à toi » : « Fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent dans les mêmes circonstances. »
La loi n’a pas développé chez l’homme le sentiment du juste et de l’injuste, du bien et du mal. Elle a simplement utilisé ses sentiments sociaux pour lui glisser, avec des préceptes de morale qu’il acceptait, des ordres utiles à la minorité des exploiteurs, contre lesquels il se rebiffait. Elle a perverti le sentiment de justice plutôt que de le développer.
Dans un livre « infiniment supérieur à son œuvre sénile », L’Économie politique, Adam Smith trouve dans le sentiment de sympathie la vraie originaire du sentiment moral. Il n’a simplement pas compris qu’il existe aussi chez les animaux. Le sentiment de solidarité est le trait prédominant de la vie de tous les animaux qui vivent en société. La solidarité a eu dans le développement du règne animal une part infiniment plus grande que toutes les adaptations pouvant résulter d’une lutte entre individus pour l’acquisition d’avantages personnels.
En jetant par-dessus bord la Loi, la religion et l’Autorité, l’humanité reprend possession du principe moral qu’elle s’était laissé enlever afin de la soumettre à la critique et de le purger des adultérations dont le prêtre, le juge et le gouvernant l’avaient empoisonné et l’empoisonnent encore. L’arme la plus puissante, des hommes comme des animaux, dans la lutte pour l’existence est l’égalité des rapports mutuels et la solidarité qui en résulte nécessairement.
En opposant les sentiments altruistes aux sentiments égoïstes, les moralistes ont fait fausse route car le bien de l’individu et le bien de l’espèce sont au fond identiques.
En conclusion, Pierre Kropotkine nous invite à nous révolter contre l’iniquité, le mensonge et l’injustice. « La lutte c’est la vie ! »
Très beau texte, limpide et précis à la fois, qui ne peut laisser indifférent.
LA MORALE ANARCHISTE
Pierre Kropotkine
96 pages – 2,60 euros.
Éditions Mille et une nuits – Paris – mai 2004
Publié pour la première fois en 1889.
Du même auteur :
L’ESPRIT DE RÉVOLTE
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