Génération ingouvernable, le mouvement qui ne veut plus jouer le jeu des élections

par Cyril Castelliti 27 mars 2017

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Destruction de fausses cartes électorales, préparation d’actions dès le lendemain du 7 mai, date du second tour des élections présidentielles… Mais qui est cette énigmatique « génération ingouvernable » composée de centaines de jeunes activistes, refusant le vote par dépit et les solutions miracle, et revendiquant un désir d’autodétermination ? « Intervenir en politique, ce n’est pas se montrer sur un plateau télé pour se vendre, mais agir sur des problèmes concrets », disent-ils. Rencontre avec trois militantes « ingouvernables ».

« Soyons ingouvernables » : de manifestation en manifestation, la banderole présente dans les cortèges de tête à Paris a fini par devenir l’un des emblèmes du mouvement contre la loi travail. Elle résume une philosophie que des militants veulent aujourd’hui inscrire dans la durée. Après un premier week-end de débat national à Montreuil, fin janvier, les militants du collectif « Génération ingouvernable » ont scellé leur union autour d’une action très symbolique : un feu de fausses cartes électorales. « 2017 sera une année décisive, marquée par un climat politique confus et organisé autour des idées de l’extrême droite : racisme et austérité, nationalisme et sécurité. (…) On nous impose différents programmes et à nous de les valider par notre vote, en d’autres termes de « choisir le moins pire ». Nous sommes nombreuses et nombreux à ne plus croire dans ces élections », écrivent-ils.

Lancée au début de l’année par des activistes franciliens, Génération ingouvernable ambitionne de fédérer des forces de gauche radicale. De la mouvance antifasciste et autonome aux franges plus modérées, ses adeptes, dont de nombreux lycéens qui tentent de créer leurs propres comités d’action, sont présents dans la plupart des grandes villes françaises. Nous avons rencontré trois militantes du collectif, qui insistent parler « en leur nom propre ». Leurs points communs : elles sont jeunes, impliquées, et « adeptes de la politique au quotidien, pas une fois tous les cinq ans ».

Ayah, 17 ans : « Notre vie est un acte politique »

Question conscience politique, Ayah n’a pas perdu son temps. Fille d’une militante au Parti socialiste, elle déconstruit très tôt le système scolaire dont elle se considère comme « une victime ». Dès ses douze ans, elle épluche l’actualité. « J’ai toujours été pour une révolution, mais ce n’est que récemment que j’ai découvert des formes d’organisations qui partagent cette idéologie », sourit-elle. Pendant les manifestations du printemps, elle se désolidarise de son lycée pour rejoindre le cortège de tête. « Je trouvais ça puissant. Il s’en dégageait une forme de volonté politique qui m’attirait. » Loin de ses camarades de classe qui défilent avec le NPA, c’est auprès des militants vêtus en noir intégral qu’elle s’épanouit.

Si « casser » est le mode d’action politique de certains, c’est d’abord dans la « réparation » qu’Ayah s’investit. Croix rouge sur le crâne, la militante fait partie des « Street Medic », ce groupe présent dans les manifestations pour porter secours aux blessés et autres intoxiqués au gaz lacrymogène. Son « déclic politique » : « Quand j’ai entendu ce que l’État ne dit pas, et vu ce que les médias ne montrent pas. » Une liste qu’elle énumère avec colère : « J’ai vu des blessés défiler par dizaines alors que les médias n’en annonçaient qu’une poignée, la police bloquer le camion du Samu ou encore charger des manifestants déjà « nassés ». » Des méthodes de répression qu’elle qualifie de « virilisme d’état ».

« Il faut savoir lancer un pavé, mais aussi tenir un stylo »

Sensible à la mouvance antifasciste, Ayah prend néanmoins ses précautions quant aux chapelles politiques. « Je me considère en apprentissage. Je lis beaucoup et m’instruis de mes rencontres. » Ses lectures du moment : Paris sous Tension, L’insurrection qui vient, Divertir pour dominer, et Premières mesures révolutionnaires. Des idées qu’elle partage régulièrement avec son entourage comme un « acte politique ». « Notre vie est un acte politique : les idées que nous transmettons, ce que nous mangeons, notre style vestimentaire… Voilà pourquoi j’ai décidé de militer sur le long terme. » De l’organisation d’assemblées générales à l’ouverture de squats, Ayah s’investit à cent pour cent. A tel point qu’elle hésite entre « faire des études après le bac, ou consacrer [sa] vie au militantisme ».
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Cet engagement au quotidien, Ayah le considère comme la clé du succès de Génération ingouvernable. Pour créer un contrepouvoir durable, celui-ci doit dépasser la question des élections : « Ce n’est pas le vote en soi qui pose problème, mais le système que l’on cautionne en votant. Aucun candidat n’est capable de l’affronter. » Elle insiste sur l’importance des « forces locales » et de la prise de décision collective. Les actions organisées sont relayées auprès des autres : semaine d’action contre le FN à Nantes, banquets, investissement dans les ZAD… et des événements nationaux sont proposés. Par exemple : un carnaval festif sous fond de manifestation sera organisé le 1er avril.

Consciente de l’image ostentatoire que peut dégager la gauche radicale, Ayah prône un esprit d’ouverture : « Selon moi, l’un des enjeux de Génération ingouvernable est d’établir un dialogue avec ceux qui votent pour ne pas rester dans l’entre soi. » Loin de condamner ceux qu’elle nomme elle-même « les casseurs », elle insiste cependant pour ne pas militer uniquement par la violence : « Il faut savoir lancer un pavé, mais aussi tenir un stylo pour proposer un discours solide. » Un travail de longue haleine au service d’objectifs ambitieux : « Les citoyens doivent prendre conscience de leur pouvoir politique. Le mouvement est jeune et il va y avoir beaucoup de travail. L’autonomie, ça prend du temps. »

Marie, 18 ans : « Se lever pour 1200 euros, c’est insultant »

Loin des cortèges parisiens, c’est en Grèce que Marie, dix-huit ans, commence à militer : « Je me suis politisée et radicalisée en quatre jours. » Partie rejoindre son frère « volontaire dans des squats à Athènes », la jeune franco-vietnamienne s’implique auprès des migrants. Cuisine, distribution de repas… : son investissement est quotidien. Frappée par la misère, elle structure sa pensée politique : « J’ai vu un homme menacer de se suicider pour avoir un toit, quitte à dormir en prison. Ça a été un déclic, en terme de conscience sociale. »

De retour en France au printemps 2016, elle s’implique dans les manifestations contre la loi travail. Malgré son manque d’expérience, Marie rejoint le cortège de tête pour tenir une banderole où il est écrit « Se lever pour 1 200 euros, c’est insultant », reprenant les paroles du rappeur SCH [1]. La première d’une longue série : « Tenir la banderole est une responsabilité importante. Il faut rester vigilant et ne pas la lâcher pendant les charges. » Une activité qui lui a valu de nombreux coups de matraque, du fait de sa position : « en tête du cortège de tête. »

La force du soulèvement

Question références politiques, Marie ne revendique aucun modèle : « Ce qui motive mon engagement, c’est le désir de changer les choses, pas les livres. Même si j’ai lu la base avec Marx et Bakounine ». Avant Génération ingouvernable, la militante ne s’est jamais investie dans un mouvement, un syndicat, ou un parti. « Nous vivons dans un monde gouverné par les institutions. Je me vois mal militer dans l’une d’entre elles, même si ses valeurs sont nobles. » Elle explique ainsi le manque de succès des partis habituels : « Les gens recherchent l’horizontalité. Ils en ont assez d’être toujours gouvernés, même dans des structures dites « révolutionnaires ». » Un rejet de la hiérarchie qui est au centre du mouvement qu’elle défend.

Parmi les actions qui ont influencé son militantisme, Marie cite d’emblée le blocage de son lycée : « J’ai ressenti un sentiment de puissance à mener une action à bien. C’est une émotion intense que de réussir à se soulever face à un pouvoir qui nous dépasse habituellement. » Une émotion que la jeune militante compte bien éprouver encore d’ici l’élection présidentielle, et au delà.

Alice, 23 ans : revendiquer la casse comme un « acte politique »

Pendant le week-end de rencontre nationale, Alice, vingt-trois ans, participe à l’organisation des débats. Assistée par d’autre militants, elle distribue la parole devant 400 personnes « On essaie de garder un débat cohérent et que les femmes s’expriment », confie-t-elle. Comme Ayah, son investissement politique démarre pendant les manifestations contre loi travail, loin des partis dits « classiques » : « J’ai rapidement déserté les cortèges interfac et leurs slogans pourris. Je n’étais pas là pour faire la communication de Mélenchon qui venait se faire photographier avec des jeunes. En voyant des gens balancer des pavés sur les vitrines, je me suis dit : « C’est ça que je veux faire ! » ».

Pour Alice, casser est un acte politique : « C’est un moyen d’agir sur le paysage urbain. L’action se voit le lendemain et pousse les gens à réfléchir et repenser leurs habitudes. » Une sorte de « propagande par le fait » aux conséquences très concrètes : « A Rennes, il ne restait plus qu’un seul distributeur en fonction dans le centre-ville. C’est un acte politique fort qui a modifié le visage de la ville », se réjouit-elle. Sourire aux lèvres, elle se souvient encore de son premier « acte politique » : l’attaque d’une vitrine de banque au marteau. « J’étais hors de moi, portée par la joie très pure que procure la destruction. Il y a un côté irrationnel dans cette sensation d’impacter sur le réel. »

Si les violences n’ont pas empêché la loi travail d’être adoptée, Alice garde foi dans cette forme de militantisme : « La violence transcende les discours. C’est une manifestation concrète de la colère. Un moyen de se réapproprier l’espace collectif face à la police et l’état. » Devant une répression policière grandissante, Alice reste consciente que la violence ne peut être le seul moyen de militer : « Nous avons vu à quel point il était de difficile de s’organiser au fil des manifestations. Il faut repenser la stratégie du black block. Se réinventer est un travail perpétuel. »

« Une femme peut être aussi violente qu’un homme, si ce n’est plus ! »

Particulièrement sensible à la cause féminine, Alice martèle : « Une femme peut être aussi violente qu’un homme, si ce n’est plus ! » Elle dénonce une forme de virilisme dans les manifestations : « Certains veulent casser toujours plus quitte à se mettre en danger pour prouver leur force » s’indigne-t-elle. Grâce au cortège de tête, elle affirme que « certaines femmes ont pu se réapproprier quelque chose qui a longtemps été réservé aux hommes ». Avec une spécificité : « Je pense que certaines femmes sont peut-être plus attentives aux autres dans les moments de tension. Cela peut venir de notre conditionnement à veiller sur les autres. »

A l’aise dans les débats comme dans les « actions directes », Alice soutient également la nécessité d’agir au niveau local : « Les contrepouvoirs ne se prennent pas dans les urnes en votant pour Mélenchon ou Hamon. Ils se saisissent au quotidien, dans la rue. » En guerre contre « le discours culpabilisant adressé aux abstentionnistes », elle insiste sur le pouvoir de l’abstention : « Si elle est ignorée des politiques, l’abstention est prise en compte par les médias. Cela ne va pas renverser le gouvernement, mais montrer un désintéressement. Qu’importe son score, le vainqueur ne sera pas légitime. C’est là tout l’intérêt. » Lors des présidentielles de 2012, l’abstention avoisinait les 20%, et les votes blancs et nuls les 5% des suffrages exprimés. Reste à voir si le scrutin de 2017 donnera raison aux « ingouvernables ».

Cyril Castelliti (texte et photos)
Notes

[1] Dans un morceau intitulé « A7 ».

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